Par M. Kamoulou Assoumanou, Doctorant en Histoire (UL)
Introduction
L’histoire de la chefferie traditionnelle en pays tem date de l’époque précoloniale. Cette chefferie est divisée en trois groupes : la chefferie supérieure (Ouro-Esso), la chefferie cantonale (Ouro-Koubonou) et la chefferie villageoise (Ouro-Koumou). La chefferie tem trouve ses racines dans les traditions ancestrales du peuple. Elle s’est développée autour d’une organisation clanique, où les aînés et les sages tenaient des rôles de décisionnaires. Ces structures se sont consolidées avec l’arrivée de l’Islam au 19ᵉ siècle, influençant les pratiques sociopolitiques des Tem. Leur système de chefferie incarne des valeurs ancestrales et joue un rôle clé dans la préservation de leur identité culturelle.
Dans toutes ces chefferies traditionnelles, il y a un certain nombre de règles à respecter. Il est donc question d’expliquer ce qu’on entend par chef en pays tem. De ce fait, nous allons expliquer d’abord, le processus de désignation des chefs tem ; ensuite leur investiture ; après quelques insignes de la chefferie traditionnelle tem et enfin l’enterrement des chefs défunts en pays tem.
I. Processus de désignation des chefs Tem
Dans tout le pays tem, que ce soit la chefferie supérieure ou celle des villages, la succession au trône est rotative. Le nouveau chef est désigné par un collège de sages après un débat contradictoire entre plusieurs candidats. Selon la règle coutumière, le nouveau chef élu doit être transporté en l’air par ses neveux.

Ce geste consiste à présenter le nouveau chef à son créateur afin d’avoir sa bénédiction. Pendant ce temps, ses neveux doivent veiller strictement sur ses sandales et son chapeau. Si par hasard, un intrus parvient à enlever le chapeau du nouveau chef ou de ses sandales, la famille du chef doit payer chère avant de le ou les récupérer.
Le nouveau chef est donc conduit jusqu’à la maison d’un de ses proches parents où il va passer sept jours avant de regagner sa propre maison. Durant ces sept jours, le nouveau chef mène une vie très fermée c’est-à-dire, il vit en couvant. Ces jours consistent à initier le chef et à le préparer de façon mystique. Après le septième jour, le nouveau chef prend son bain spirituel dans une bassine communément appelée « tassagari ». C’est après ce bain qu’il regagne son palais.
II. L’investiture du chef tem
Sept jours après la désignation du nouveau chef, on organise une cérémonie de son intronisation dans sa cour royale. Au cours de cette cérémonie, le nouveau chef présente publiquement son nom de règne. Ce nom doit rappeler l’un de ses prédécesseurs qui fut très puissant. Le même jour, le chef reçoit les insignes du pouvoir dont les plus importants sont: les sandales, le trône (Sa), la canne, les tambours (Soh), un œuf d’Autruche, la hache, l’arc, une peau de léopard, le sabre, l’anneau, une canne, des olifants (agandas) et le parasol. Il doit aussi adopter une jeune fille qui sera plus tard sa femme. Cette fille est connue sous le nom de « Sarou ». C’est avec elle que le nouveau chef reçoit des cérémonies.

Le nouveau chef est habillé ce jour-là en boubou traditionnel coiffé de la chéchia. Désormais, lorsqu’il veut porter un chapeau, il le pli vers le ciel c’est-à-dire tout droit. Cela signifie que son pouvoir émane de Dieu et qu’après ce Dieu créateur, il est le premier responsable de son peuple. Tous ses notables plis leurs chapeaux vers le devant. Ce qui signifie qu’ils sont les premiers responsables qui montrent la bonne voie au chef et ses citoyens.

C’est ce jour d’investiture que le chef présente son équipe constituée comme suit :
- Kpékpassi : représentant du chef. Il n’est pas désigné dans le clan royal. Il est le premier ministre.
- Tchagodomou: père du chef ou frère aîné du chef ou son oncle paternel. C’est lui qui peut faire des reproches au chef. Il représente le Président de l’Assemblée.
- Agrigna : le père de Ouro-Esso. Il joue le même rôle que Tchagodomou.
- Tchagnani : C’est le petit frère du chef. Il est l’homme de confiance du chef.
- Garadima : C’est lui qui joue le rôle d’intermédiaire entre le chef, Kpekpassi et Tchagodomou. Il peut être Tchagnani.
- Kpélafia : Il s’occupe de la santé du chef et de ses citoyens. C’est le ministre de la santé. Il s’occupe aussi de la propriété du royaume.
- Tchagbélé : C’est l’homme spirituel du chef. Il est le maitre du monde visible et invisible.
- Samari. Il est à l’intermédiaire entre les vieux et les jeunes. C’est le porte parole des vieux au près des jeunes et vice-versant
- Tchagara ou Alikali: c’est le juge suprême.
- Madougou : c’est le protocole du chef. C’est lui qui installe les gens lors d’une cérémonie ou d’une réunion.
- Kparakpaï : Il gère les affaires des jeunes en collaboration avec Samari.
- Londja : Il est chargé de porter des messages extérieurs.
- Kéziré : porte voix du chef. C’est lui qui parle à haute voix au nom du chef.
- Fourissi : C’est la police. Il s’occupe aussi de diverses punitions dans la cour royale. Il est choisi hors du chef. C’est aussi l’envoyer du chef
- Sadou : C’est l’escorte du chef. Il a une force surnaturelle. Il veille sur l’habillement, l’alimentation et les cadeaux du chef.
- Sibabi : C’est l’ambassadeur du chef. C’est le messager du chef.
- Dja-Ouro ou Lawani : Il s’occupe de l’élevage.
- Kparè : chef des chasseurs. Il a une force surnaturelle.
- Alkpakè : Il s’occupe des instruments de musique. C’est un griot
- Siriki : chef des étrangers. Il règle les litiges entre les étrangers.
- Téo. Il est le devin officiel du chef. Il joue un rôle spirituel dans la cour du chef. C’est lui qui égorge les bêtes lors des cérémonies.
- Ponponkou : C’est lui qui partage le message dans le village. C’est le journaliste.
III. Les insignes du chef tem
- Vestibule du chef
En pays tem, chaque famille à son vestibule et chaque vestibule a un nom et un louange. Mais le vestibule du chef est le plus grand en termes d’architecture. Traditionnellement, ce vestibule est construit par la contribution de tous les princes du village et neveux du chef.

Le vestibule a une forme ronde à cause de son rôle. D’abord, il symbolise l’unité et le patriotisme. Il invite tous les citoyens à s’unir dans la paix. C’est le vestibule qui permet de concourir le trône. Ensuite, c’est là où le chef rend la justice. Sur ce point, il symbolise la transparence dans la justice sociale. Lorsqu’un problème est réglé dans le vestibule, il est réglé une fois pour de bon. Le chef ne rend pas la justice hors de son vestibule. Cette maison joue aussi un rôle sacré depuis sa construction jusqu’à sa finition. La plupart des cérémonies liées à la protection du village ou des citoyens se font devant le vestibule du chef. Le vestibule a deux portes : la porte de protection (celle qui est dehors) et la porte d’ouverture et de bonheur (celle qui est devant la cours de la maison).
- Œuf d’autuche
L’Autriche est le roi de toutes les volailles et le roi de tous les êtres vivants qui ont deux pattes. Cet animal symbolise la royauté et son œuf symbolise le pouvoir. Son œuf sur le toit d’un vestibule signifie que vous êtes dans la zone du plus fort de tout le monde. De ce fait, on doit être prudent et vigilant pour éviter les problèmes.
Chaque vestibule a son œuf d’Autruche qu’il garde soigneusement jusqu’au jour où il aura le pouvoir. Mais cela n’interdit pas de solliciter un œuf d’un autre vestibule. Avant de hisser l’œuf d’Autruche, le chef convoque tous ses notables et ses femmes dignitaires. Ils entourent le vestibule avec des invocations et des louanges. Pendant ce temps, le neveu du chef ou le chasseur de renom monte au sommet du vestibule. Il place l’œuf d’Autruche, ensuite on lui donne un coq blanc qu’il sacrifie sur l’œuf et qu’il lâche. Là où le coq tombera, on sacrifie un bélier blanc. La position du coq une fois au sol est interprétée par les notables.

Lorsque l’œuf d’Autruche est placé c’est jusqu’à la désignation d’un nouveau chef. C’est le jour de l’investiture du nouveau chef c’est-à-dire sept (7) jours après sa désignation qu’on enlève l’œuf d’autruche sur le toit de l’ancien chef. Dans certains villages même après la mort du chef, l’œuf d’Autruche resté toujours sur le vestibule. Exemple de Koma, Bafilo, Agouloudè, Adjeidè, Kéméni.
- L’arbre Kédiya
L’arbre communément appelé Kédiya est la femelle du vestibule (Dougoré). C’est le seul arbre que le chef est autorisé à planter dans sa cour. Lorsqu’il y a une réunion qui peut déborder le vestibule, elle se tient sous Kédiya. Cet arbre fait partie aussi des attributions du chef. Chaque vestibule a son kédiya dans sa cour. Lorsque le nouveau chef arrive au pouvoir sans cet arbre, on le fait implanter le jour de son intronisation. Dès fois il peut demander à son neveu de le faire à son nom avec des récompenses. Kédiya est un arbre sacré depuis son implantation. Si d’aventure, cet arbre perd ses feuilles, on plante un nouveau à côté de l’ancien. Lorsqu’il devient touffu et qu’on veut tailler certaines branches, on convoque tous les notables du village. Ils entourent l’arbre avec des invocations et le neveu du chef monte pour couper les branches touffues. Tout le monde n’est pas autorisé à monter sur cet arbre.
- Soh
Les Soh au pluriel ou le Souré au singulier font partie des attributs de la chefferie. C’est un bien commun de tout le village. Tout le village, du moins, les vestibules qui ont droit à la chefferie peuvent cotiser pour acheter les Soh de leur village. S’il arrive qu’un vestibule refuse de cotiser, il est automatiquement exclu de la conquête de la chefferie de ce village. C’est un bien commun de tout le village. Ce bien matériel est soigneusement gardé dans le vestibule du chef ou du roi. Après la mort de ce dernier, le nouveau chef en devient le garant. Dans cette même communauté, les Soh, au-delà de leur rôle de transmission de message, font partie des instruments de musique.

Il y a une danse folklorique pour les Soh. Dans ce cas, on les associe avec des tambours, de gong et aussi des trompes d’ivoire recouvertes de peau de léopard. C’est la seule danse que le chef peut exécuter durant son règne. Sinon, il est formellement interdit à un chef tem de danser. En outre, les Soh sont des objets sacrés. Ils contiennent des forces surnaturelles. On les présente des offrandes.
- Cheval
En pays tem, le chef se déplace à cheval. C’est pourquoi, le jour de son intronisation, il reçoit traditionnellement un cheval blanc. Par la suite, il peut en acheter encore. Seule personne ayant un titre ou un pouvoir investi par les ancêtres pouvait posséder un cheval. Le cheval du chef est abattu au moment de sa mort. En Afrique, les morts ne sont pas morts. Le chef défunt a besoin de son cheval dans l’au-delà. Il faut donc abattre son cheval préféré pour que son âme aille rejoindre celle de son maître et la servir.
IV. Enterrement d’un chef Tem
L’enterrement d’un chefdéfunt respectait à un certain nombre de principes. Avant d’annoncer l’enterrement d’un chef défunt, la famille doit chercher d’abord, des peaux de bêtes de certains animaux tels que le lion, la panthère, l’impala. A la veille de l’enterrement, le chef défunt est lavé avec une tisane spéciale plus l’eau de la rivière. Après le bain, on lui coupe les ongles, les cheveux au ras. Le jour de l’enterrement, le matin, les vieilles femmes préparent la pâte à base de mil, le beignet à base du haricot et souvent le riz. La vieille femme présente trois fois cette nourriture au défunt.
Le soir avant l’inhumation, le défunt est habillé en tenue traditionnelle et coiffé de la chéchia (chapeau royal) et on l’expose sur son trône. Son peuple lui souhaite un bon voyage vers le monde des ancêtres. Après l’exposition du corps, le défunt est transporté dans sa tombe. Cette tombe a une forme ronde et à l’intérieur, elle prend une forme horizontale.

Le croque-mort descend dans le trou, étale les peaux de bêtes suivis de la natte traditionnelle (raphia), ensuite il étale quatre oreillers fabriqués à l’aide de peaux de bêtes, enfin il reçoit le cadavre toujours habillé en tenue traditionnelle et coiffé de la chéchia. Le cadavre est couché sur le côté droit, la tête tournée vers le levant. Après, on recouvre le défunt de cinq pagnes traditionnels selon un ordre suivant : pagne des enfants du défunt, pagne de sa famille paternelle, pagne de sa famille maternelle, pagne des gendres et pagne de la famille de lignage qui succédera le chef défunt. Enfin, on dépose sa canne à côté de lui et le plus souvent son fusil de traite plus les mets préparés par les dignitaires femmes. Pendant que le croque-mort est dans le trou avec le défunt, on ferme la tombe à l’aide d’une grosse pierre préparée à cet effet. Le croque-mort quant à lui, disparait spirituellement de la tombe pour regagner sa maison.
Conclusion
Nous pouvons retenir de cet exposé que la chefferie en pays tem est une institution préétablie avant l’arrivée des Européens en Afrique. Cependant, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours, beaucoup de mutations sont intervenues dans cette chefferie. La règle de succession n’est plus respectée ; le chef est entouré de quelques notables sans des titres. Dans certains villages, il y a des chefs qui n’ont ni tam tams parleurs (Soh), ni cheval. La chefferie supérieure n’existe plus. Le respect et la dignité reconnu au chef a tendance à disparaître. Il est donc important de sensibiliser les chefs traditionnels pour un vrai retour à nos coutumes et à nos valeurs traditionnelles.